À Monaco, une tour en bois de 43 mètres de haut érigée sans grues

Porté par le studio français Bellecour Architectes, le projet de construction bois de la Tour Carmelha entre dans sa dernière phase de travaux, à Monaco. La levée du dernier étage de l’immeuble de logements, le 28 septembre prochain, signera la fin du clos couvert pour ce chantier à la fois exemplaire et innovant à plus d’un titre.

C’est une première pour la Principauté de Monaco. Le territoire, connu pour sa densité urbaine, accueille pour la première fois de son histoire une tour de logements en ossature bois. Et l’inspiration vient de France, et même… de Bordeaux ! « C’est une commande directe des Travaux Publics de Monaco, suite à notre projet Silva, un îlot mixte avec une tour en bois, prévu dans le quartier Euratlantique à Bordeaux. Nous étions co-lauréats, avec Art & Build Architectes, dans le cadre des appels à projets d’Adivbois », nous rapporte Vincent Ballion, architecte et chef de projets du studio Bellecour Architectes. Engagée en faveur de la transition énergétique, la Principauté souhaite se doter d’infrastructures innovantes exemplaires : le bois et les matériaux biosourcés sont dès lors vivement encouragés.

La tour en bois Carmelha en cours de construction à Monaco avec le système Upbrella © tomatoki

Un bâtiment bois démonstrateur

Pour le projet monégasque Carmelha, les défis sont multiples. Le site d’implantation se situe à l’Est de la Principauté de Monaco, dans le quartier résidentiel de la Rousse. « Il est escarpé, entre deux rues, avec un dénivelé de 12 mètres, de petite dimension – 400 m² au sol –  en bord de mer, avec des contraintes liées au vent et à la sismicité », liste Vincent Ballion.

À ces contraintes géographiques s’ajoutent de hautes exigences en termes de performances environnementales. « Le donneur d’ordre voulait que le bâtiment réponde à la certification Habitat HQE niveau Exceptionnel 12 étoiles, et le nouveau label Bâtiment Durable Méditerranéen à Monaco (BD2M) niveau Or. Nous avions la conviction que c’était possible, mais pas la certitude. Carmelha en est le démonstrateur ».

La tour présente un aspect élancé, du haut de ses 43 mètres de haut, en R+8 sur un socle de 3 niveaux. Un carré de 285 m² de surface au sol, dont le soubassement béton est encaissé dans la montagne. Sur ce plateau tertiaire se développe une superstructure en ossature bois lamellé-collé, avec un noyau, une cage d’ascenseur, un escalier central et des planchers bois en CLT.

« Les murs en ossature bois font appel au concept Panobloc® du groupe Techniwood. Le bois provient quant à lui de l’entreprise française Simonin, dont le site de production à Morteau est implanté à 60 km environ de sa ressource forestière.  Ici, de l’Épicéa ». L’entreprise intervient sur ce chantier en groupement avec EMC – Entreprise Monégasque de Couverture. L’enveloppe de la Tour Carmelha est quant à elle recouverte d’un bardage en profilés zinc, même si quelques éléments bois traités classe 4 restent visibles en extérieur. Enfin, la grande majorité des matériaux utilisés ont un impact environnemental maîtrisé (étiquette A+, PEFC/FSC, labels environnementaux).

Une tour en bois sobre en énergie

Les exigences environnementales ne s’arrêtent d’ailleurs pas à la construction du bâti. Le bâtiment se veut aussi sobre d’usage. L’ambition du donneur d’ordre était d’obtenir le niveau E3 de la démarche E+C-, c’est-à-dire un bâtiment à faible empreinte carbone et qui consomme moins d’énergie qu’il n’en produit ; ainsi que le niveau 3 étoiles du label monégasque OTIMU qui atteste d’une réduction des consommations et d’une utilisation accrue d’énergies renouvelables. « Pour l’aspect E+C-, on s’est très vite aperçu que le lieu ne s’y prêtait pas forcément : la captation solaire est difficile à gérer, le milieu est dense et pétri de contraintes… En bref, on ne pouvait pas chasser à la fois la partie énergie et carbone ». Pour ses apports, le bâtiment s’appuie en partie sur le réseau thalassothermique monégasque, mais il est aussi équipé d’une ventilation double flux avec récupération thermique, ainsi que de panneaux photovoltaïques. L’innovation majeure réside plutôt dans la mise en œuvre d’un système de stockage de l’énergie : une pile à combustible « Smart Energy Hub ». Conçu par la société Sylfen, ce système permet de stocker sous forme d’hydrogène les surplus d’électricité en provenance des panneaux photovoltaïques, puis de les réinjecter pour couvrir les besoins des parties communes. « La technologie est mature et rentable pour l’industrie ; pour Carmelha, elle est davantage mise en œuvre dans une logique de recherche et développement ».

Détails de la façade de l'immeuble de logements en bois Carmelha à Monaco © tomatoki

Une protection au feu maximale
Le bâtiment a également fait l’objet d’un développement particulier, en matière de maîtrise des risques incendies. « La règlementation monégasque est plus stricte qu’en France : leur exigence de tenue au feu est d’1H30 au lieu d’1H pour un bâtiment de cette famille ». De plus, leur principe de protection passive des ouvrages (pas de sprinkler) exige aussi la limitation des apports de masse combustible. « Nous manquions de retour d’expérimentation pour un noyau bois comme celui de Carmelha. Par principe de précaution, nous avons préféré ajouter deux plaques de 25 mm de plaques de plâtre sur chaque face pour le protéger », détaille Vincent Ballion.

De même, le seul isolant caractérisé pour ce type d’ouvrage est la laine de roche alors que la paille ou le chanvre aurait un impact environnemental plus faible. Un problème de maturité de ces filières freine encore l’usage d’isolants biosourcés dans certains projets bois.

Un lieu de vie avant tout

Si le bâtiment expérimente plusieurs technologies, il n’en reste pas moins un lieu de vie avant tout. « Les standards monégasques en termes de confort de vie sont élevés. Pour ce bâtiment, on est sur un budget d’environ 22 millions d’euros en financements publics, pour 25 appartements, ce qui – à l’échelle de la Principauté – ne s’apparente pas à un projet luxueux, mais reste exceptionnel pour une commande publique, rappelle l’architecte.  Dans l’aménagement intérieur, cela se traduit par des typologies de logements T4 et T3 : environ 3 par étage, sous 2m70 de plafond, avec des volumes généreux. La qualité des logements tient aussi au soin particulier apporté aux apports lumineux : persiennes coulissantes, lames orientables, espaces terrasses d’environ 10 m² avec vue agréable. Le bois y est aussi un véritable allié bien-être. On le retrouve comme matériau pour les menuiseries, les faux plafonds et certains éléments de structures laissés visibles, comme les diagonales de contreventement ou certains poteaux. « Ces détails participent de la qualité d’habiter. L’intérieur ne semble pas différent de la structure, c’est très important de savoir que j’habite et je comprends que j’habite un bâtiment bois. » Le sujet de l’acoustique – sensible dans tout projet bois – a aussi été traité, en testant et caractérisant un complexe de plancher au CSTB. Des études et des essais physiques sur certains points complexes du bâtiment ont ainsi permis de réduire les bruits venant de l’extérieur, ainsi que les nuisances auditives entre logements.

Le système Upbrella permet de construire en bois sans grues tout en étant protégé © tomatoki

Une tour en bois érigée sans grues

En attendant le retour d’expérience des habitants, les riverains ont déjà pu constater les efforts réalisés sur chantier pour le rendre moins bruyant. Les composants de l’immeuble ont ainsi été préfabriqués en amont, en usine, grâce à la modélisation 3D (BIM niveau 3). Ils sont ensuite assemblés sur place, sous un système de parapluie innovant. La solution proposée par l’entreprise québécoise Upbrella permet de s’affranchir des grues de levage. Sa mise en œuvre sur le chantier Carmelha est une première, à l’échelle européenne. La technologie consiste à installer dès le début le toit qui servira d’abri et à le soulever, étage par étage, grâce à un système de vérins hydrauliques. Au-delà du gain de temps, cette solution crée un environnement de travail sécurisé, protège les ouvriers et le chantier des intempéries mais permet aussi d’atténuer le bruit (mesuré à -20 décibels) et de cantonner les poussières à l’intérieur. Avant de passer au niveau suivant, l’étage est hors d’eau/hors d’air.

Livraison à l’été 2024
La levée du dernier étage du bâtiment, le 28 septembre prochain, signera la fin du clos couvert pour ce chantier hors norme, dont la livraison finale est attendue à l’été 2024. « Une fierté et une chance », pour le studio Bellecour. «Cette expérimentation grandeur nature, dans des conditions extraordinaires, nous permet de nous enrichir collectivement sur les projets de grande et moyenne hauteur en bois ». Pour partager leur expérience, les architectes et les entreprises partenaires présenteront le projet Carmelha, lors du Congrès Woodrise, le 17 octobre prochain, à Bordeaux.

Retour en haut